999


- CULTURE PRESS -

Dans JAGGER NAUT , ce n'est pas tant le batteur incendiaire qui se commet que le manipulateur boulimique de boîtes à rythmes et d'échantillonneurs. Avec 999, on serait même tenté de dire que Daniel KOSKOWITZ troque le free-rock contre le free-trance-world, tant cet opus se présente comme l'intense scannerisation d'une bande FM entièrement dévouée au très médiatique fantasme du "village global", et ce, sur un continuum de 72 minutes arbitrairement découpé en 7 plages. Du reste, le fait de sélectionner une plage au hasard équivaut à appuyer sur le bouton "on" d'un tuner : on tombe toujours en plein milieu d'un "morceau". Tout au long de cette excursion faussement radiophonique -avec changements de fréquences pour faire plus vrai- on navigue parmi les innombrables musiques populaires, rituelles ou sacrées d'Afrique ou d'Asie, dont la fonction de trance est systématiquement renforcée par l'adjonction de rythmiques machiniques entêtantes et mutantes, sans qu'il ne soit à aucun moment question de bpm technoïdes. C'est du bass and drums sec, mat, agrémenté d'émanations pianistiques ou guitaristiques, au service d'une sono ethno-urbaine multizone, parcellaire et hypnotique, offrant une vision satellite (cf. la pochette) d'un quatrième monde à proximité d'oreille. Cette dermière ne sera d'ailleurs pas la seule à gigoter au fur et à mesure de votre plongée en apnée dans cet écho azymuthé du globe culturel. Voilà la bande-son idéale d'une rave-party taillée sur mesure pour les partisans des musiques vivantes.



- OCTOPUS -

Creuset d'influences zepelliniennes et kraftwerkiennes pressurées dans un étau "noisy", les deux premiers albums de Jagger Naut n'avaient pas fait mouche, en leur temps (91 et 93), auprès du public ni complétement convaincu la presse spécialisée. Aperçu depuis dans l'octet Idiome 1238 et également remarqué pour ses diverses compositions pour chorégraphie ou court-métrage, Daniel Koskowitz, unique cerveau de l'affaire, à crânement décidé, pour son troisième essai, de placer la barre un peu plus haut. Comme d'autres le font au sein de collectifs interchangeables (sous des noms comme Massacre ou Golden Palominos), ce multi-instrumentiste opiniâtre reprend les manettes de son infernale et iconoclaste machine à brouiller les pistes. En marge du circuit free-rock et impro, auquel il offre régulièrement ses services, ce pilier du CCAM nous entraîne donc dans un continuum mondialiste passionnant, émanation probable des fameux "Possible Musics" d'Hassel/Eno (voir la pochette). Sur fond d'images morcelées, s'entrecroisent, dans une dualité de tous les instants, motifs multicolores, mélodiques ou atmosphériques (issus des traditions persanes, indonésiennes...), et rythmes urbains, hypnotiques et nerveux. Globalement homogène, cette oeuvre se déploie en une longue et haletante saga de 70 minutes à caractère narratif. Contournant habilement les clichés du genre, elle renvoie des visions centrifuges et fragmentées d'univers culturels très divers -entrecoupées de balayage de fréquence radio- déformées subtilement au moyen de filtres électroniques, de plaintes de guitares et autres pollutions sonores apprivoisées (samples, boucles...). Un album en parfait accord avec les travaux graphiques d'un Russel Mills, digne de figurer au tableau d'honneur de l'Internationale "nomadiste" (pas très loin de Pol, Pablo's Eye...).



- PEACE WARRIORS -

Sono mondiale des folklores virtuels, 999, troisième album de Jagger Naut, enchaine les périples ethno- électroniques à la vitesse d'un internaut. Au gré des caprices de balayage d'un tuner analogique, les fréquences locales de pays imaginaires défilent sans interruptions à grand renfort de samples, synthés et percussions. Empruntant ça et là aux musiques ethniques, Daniel Koskowitz, unique entité du projet, télescope les cultures en un processus de recyclage des matières sonores préférant la transe au recueillement, le rythme à la méditation. La lassitude souvent inhérente à ce genre d'exercice est éludée grâce à de nombreuses variations de climats et de tempos plutôt rapides rappelant étrangement la cold wave électroniqe des années 80, la tension nerveuse des D.A.F. et autres Kas Product. Si on peut à la première écoute être gêné par la quasi-systématisation des programmations de basse, on se laisse malgré tout très vite emporter dans ce marathon hypnotique dont on sort, brutalement d'ailleurs, le souffle court. Essentiellement connu comme activiste du free-rock en tant que batteur des collectifs Etage 34, 60 Etages, Idiome 1238 etc... Daniel Koskowitz, ici à contre emploi, réussit à donner beaucoup d'originalité à une recette musicale qui en avait besoin. (Franck Manceau)