JAGGER
NAUT

C'est en 1987 que Daniel Koskowitz fît sa première apparition sur scène
dans un projet solo, sous le pseudonyme de Jagger Naut.
Cette date concrétise plusieurs années de travail personnel orientées
surtout vers le domaine rythmique, avec comme préoccupation première,
la conception d'une prestation de soliste qu'on ne pourrait pas qualifier
de minimaliste.
En 1987, ce fût donc la mémorable soirée qui réuni sous le générique de
La nuit des solos, bon nombre des acteurs que comptait la
musique alternative de l'époque. Etats-Unis, Angleterre et France se mêlaient
en une suite ininterrompue de solo, dans cette soirée organisée par le
Centre André Malraux de Vandoeuvre les Nancy, dans le cadre du festival
Musique Action. Notons le passage d'artistes comme : Tom Cora,
Christian Marclay, David Moss, John Rose, David Garland, Louis Sclavis,
Michel Doneda, Guigou Chenevier, Wayne Horwitz, Jean François Pauvros,
John Zorn, Elliot Sharp ou Ikue Mori ... Un résumé de cette soirée est
sorti en LP sous le label Van D'Oeuvre en 88. Sur ce vinyl, on trouve
donc la première trace discographique de Jagger Naut, sous l'aspect d'un
rock électronique pour boîte à rythmes bas de gamme (TR606 / Roland),
et No-Guitar (manche de guitare sèche sans caisse monté de 4 cordes électrifiées).
L'année 1989 fût consacrée à l'enregistrement du premier album, l'année
90 quant à elle, s'écoula sans qu'un seul producteur français ou étranger
n'éprouva d'intérêt pour cet enregistrement.
White Man, premier album de Jagger
Naut sortit en 1991
sous le label allemand Atonal (Sous division du label Dossier), réunissant
sept titres, comme sept histoires dans un recueil de nouvelles. Conçu
comme travail de studio plus que de scène, les projets de Jagger Naut
n'ont connu d'adaptations en public qu'à titre exceptionnel. Le premier
répertoire a été donné en concert lors du festival - Musique Action 89
- avant l'enregistrement du disque ; ensuite en ouverture de la soirée
du Festival Fufu de Nancy (A la même affiche : Loory Gand
et Extravaganza), et également en première partie de Soixante
Etages à Caen. Pour patienter entre deux albums, on peut noter la
participation à la compilation Music to be murdered sortie
chez Bruits Blancs (expérience de fusion éphémère entre trois labels Nancéiens
: Les disques du soleil et de l'acier, Permis de construire et Van D'Oeuvre,
réunis le temps d'une compilation).
Undoer,
le deuxième album de Jagger Naut sort en 1993, c'est la
troisième production du label 33Revpermi. Inspiré de Dr Jekyll et Mr Hyde,
ce répertoire fût présenté sur scène à deux reprises, à quatre ans d'intervalle,
avec deux formations différentes. Ont permis de rendre possible ce spectacle,
les guitaristes Hervé Gudin, Marc Joubert et Fernand Riffiot, le Centre
Culturel André Malraux de Vandoeuvre, l'association Avanti de Lons le
Saunier, et l'atelier vidéo de Pixérecourt.
Concert-vidéo inspiré par le roman de R.L. Stenvenson Le cas étrange
de Dr Jekyll et de Mr Hyde, la majorité du matériau sonore est issu de
la bande son de l'adaptation du roman à l'écran faite par Victor Fleming
en 1941. Bruits, cris, respirations, bribes de dialogues, phrases musicales
incomplètes, ambiances mêlées à un fond sonore ont été autant d'éléments
qui ont servis à la structuration d'une assise rythmique, une vision tachiste
du déroulement de l'action dramatique. Ce découpage a été complété par
un véritable travail de composition qui a parachevé la construction musicale.
Toute cette étape concernait l'élaboration d'une programmation minutieuse,
afin de placer les événements sonores dans une rythmique très dense. La
phase suivante concerna la partition des trois guitares, contrepoint devant
contraster, par une approche plus instinctive de l'interprétation musicale,
avec l'aspect mécanique des sons pilotés par séquenceur. La dualité entre
ces deux techniques était la première analogie qui devait rapprocher la
composition du roman qui l'inspirait. Mais cette dualité était également
exploitée dans le choix du nombre des musiciens : trois guitaristes qui
représentaient, le côté noir, le côté blanc coexistant dans un personnage
central. Il était important d'obtenir une cohésion sonore entre ces instruments,
une texture charnelle les soudant. Une réponse fut apportée par l'utilisation
d'un "Open-tuning" sur cinq cordes. Cette option rendait les unissons
très profonds et permettait malgré tout des contrastes violents. Cette
utilisation particulière des guitares nécessita une transcription adaptée,
suffisamment précise pour la mise en place harmonique qui devait être
rigoureuse, mais non contraignante, pour préservé un jeu très libéré dans
les parties purement rythmiques, et ceci avec l'impossibilité d'utiliser
des grilles de notation standard.
La
création de la vidéo, ultime partie du travail, consistait à faire coïncider
les scènes du film avec les développements musicaux qui s'y rattachaient,
en utilisant les images originales de Fleming, tour à tour figées en plans
fixes ou projetées en séquences saccadées ou ralenties. Un travail de
montage vidéo, de solarisation et de colorisation en studio, qui rendait
tangible par des images, les sentiments exacerbés des protagonistes de
l'histoire. Cette vidéo, synchrone avec la musique, était projetée sur
grand écran derrière les musiciens.
The Gimcrack set of W.M.
lisez White Man pour les initiales, et vous possédez
une référence au 1er CD qui donne la clef de fabrication de ce 45 tours de deux fois six minutes sorti en 1995. Concrètement,
les rythmiques des sept mouvements sont construits à partir
de 'loops' tirés des différents morceaux du CD en question. C'est dans
la continuité d'une réflexion et dans l'implication jamais gratuite de
la technologie, et surtout, dans la conception musicale qui s'ouvre à
des pistes à exploiter lors d'une production future, que prend toute la
valeur de cet opus : celui d'une étape transitoire avant d'aborder le
prochain album.
999 sort durant
le mois de décembre précédent l'an 2000.
Une façon de commémorer cette date symbolique.Véritable voyage sonore
autour du globe, cet album propose un dernier tour de multipiste avant
de s'ouvrir à d'autres horizons (l'avenir nous les dévoilera !). Les influences
défilent, les styles se succèdent dans cet enregistrement en une vision
morcelée, fragmentée et colorée d'un paysage (culturel) imaginaire. 999
se présente comme un balayage des fréquences radio à l'écoute de la sono
mondiale : Un regard pénétrant et quelques fois ironique sur une petite
planète. 26 boucles rythmiques, 238 samples puisés dans les musiques traditionnelles
du monde entier structurent la composition de cet album. 72 minutes qui
se présentent comme une succession d'esquisses fugaces basées sur de fausses
références culturelles. Immédiatement après la sortie de 999, germe l'idée d'une musique en totale opposition à celle qui vient d'être
produite. L'album suivant sera basé sur un retour au travail de groupe,
avec la volonté de restreindre le nombre d'instrument ainsi que l'utilisation
des possibilités techniques offertes par le studio : une musique électrique
cultivant une expression simple et directe, qui renoue avec le plaisir
immédiat de l'acte musical.
Soun
quatrième CD est traversé par un concept de chaos organisé. Rock en mutation
sur un paysage de fond dépeignant une informatisation décadente, l'album
impose la vision d'un monde culturel sur le déclin.
Les compositions sont caractérisées par des structures
rythmiques d'une complexité proche du domaine de l'organique, au service
de l'énergie la plus efficace et la plus directe qui soit.
Cette recherche sur la texture du rythme fut le travail principal de l'album,
il devait lui donner une couleur particulière.
La première interrogation se porta sur le matériel à utiliser, parce que
chaque projet, par son esthétique unique, doit être avant tout déterminer
par l'outil utilisé pour exprimer son univers : en musique, le choix adéquat
de l'instrument est un vecteur essentiel vers l'expression la plus juste possible. Donc,
après avoir fabriqué de fausses musiques traditionnelles dans 999,
et voulant continuer une réflexion sur, entre autre, le recyclage
de références musicales qui est un procédé courant dans la musique actuelle,
il fallait, avant tout, trouver un angle d'attaque différent. Recyclage,
d'accord, mais avec un procédé qui porte le principe au rang de véritable
élément créatif. C'est ainsi que le travail se tourna vers une utilisation
du sampler comme générateur de rythmes en échantillonnant des boucles
de batteries spécialement composées et jouées pour l'occasion. Une manière
de boucler la boucle de l'échantillonnage pour ainsi dire : se sampler
soi-même dans le but de générer de nouvelles rythmiques, et de créer une
matière musicale malléable, que l'on puisse combiner, superposer et réutiliser
à l'infini. C'est ainsi que sont nées toutes
les structures des morceaux de l'album Soun, sans aucunes
programmations de boîte à rythmes, avec un plaisir non dissimulé de manipuler
à nouveau une matière sonore issue d'un instrument acoustique. Cette volonté
d'authenticité dans les timbres, se prolongea dans le reste de l'orchestration
qui resta délibérément minimaliste : une basse 5 cordes, une guitare 5
cordes envisagées toutes deux dans leur son et leur jeu comme faisant
parties d'un même continuum. Une musique dont l'esthétique se veut proche
de l'art brut, de sa conception (il fut décidé, dès le début du projet,
que l'album contiendrait quinze titres ... quinze morceaux furent composés
en respectant le premier jet, et tous se retrouvèrent sur le CD), jusqu'au
geste final du musicien en studio d'enregistrement (de nombreux dérapages
imprévus furent gardés dans le mixage définitif). Touche finale, la pochette,
ou plutôt l'absence de pochette, puisque les informations restreintes
sur l'album sont inscrites directement dans le boîtier cristal, et que
, sans jaquette intérieure, la galette du CD semble être dans un écrin
transparent.
L'album Soun est sorti en 2005, il marque un tournant dans ce parcours jusqu'à présent solitaire,
puisqu'il est le premier projet de Jagger Naut conçu avec la participation
d'autre musiciens (en l'occurence : Pierre Olivier Ballaud / guitare,
voix ; Jean François Perrodin / basse, voix).
Dekad : En
2007, après deux décennies de rencontres riches et éclectiques,
née l'envie d'élargir le champ d'activité de Jagger Naut vers un véritable
travail de groupe, et de valoriser un répertoire fort à présent, d'une
cinquantaine de titres. C'est grâce à la réunion de collaborateurs privilégiés
que cela fut rendu possible. Avec Daniel Koskowitz comme compositeur ou
comme batteur, les chemins des quatre musiciens en question, se sont croisés
dans les contextes suivants :
Michel Deltruc, batteur dans La colonie, spectacle pour percussion
et narrateur sur un texte de Franz Kafka, composé par dK en 1988, ainsi
que dans Heatproof cauldrons for wanglers, premier LP du groupe
Soixante Etages. Hervé Gudin, guitariste déjà présent dans la version
scénique multimédia de Undoer, et dans GDKP, formation
éphémère créée pour le festival Densité dans laquelle ont trouvait également
Damien Duvaux (basse), Jean François Pauvros (guitare). Et enfin, Olivier
Paquotte, le bassiste complice depuis les débuts du trio Etage 34, et
avant, dans le collectif Soixante Etages, ainsi que dans Idiome 1238,
c'est à dire dans plus d'une dizaine de CD produits par le label 33revpermi.
DEKAD, ce projet de répertoire composé de titres de
Jagger Naut interprétés par un quatuor singulier ( deux batteries et deux
instruments à cordes électriques) résulte de la volonté de présenter en
public des musiques qui n'existent que dans une version studio, et d'adapter
des compositions basées sur l'utilisation d'instruments programmables,
à un jeu instrumental d'une sensibilité plus tangible : une manière d'attester
des multiples formes de la création musicale.
Kaydara : En
2008, ce quatuor, formé pour la scène, continue sont chemin
en envisageant la création d'un répertoire original et l'enregistrement d'un
nouvel album : KAYDARA. L'outil étant forgé (un quatuor
batteries, cordes électrifiées), et son efficacité éprouvée sur scène,
le champ d'exploitation d'un tel instrumentarium reste à être défini. Puisant son inspiration à la source du rythme,
le travail de composition exploré dans les productions discographiques de Jagger Naut, trouve ici
un champ d'investigation vers de nouvelles formules musicales. Il apparaît
que la caractéristique principale d'une formation comprenant deux batteries
et deux instruments à cordes est la puissance de jeu, associée à une facilité
de mise en place de textures sonores complexes. L'occasion nous est donnée
de pouvoir confronter, juxtaposer, superposer, échafauder des structures
sonores créant naturellement un lien entre des conceptions aussi différentes
que l'improvisation, l'écriture musicale conventionnelle, les logiques
de pulsation aléatoires ou les rythmiques asynchrones. L'occasion également
d'appliquer le concept de dimensions multiples dans l'imaginaire musicale
: le développement linéaire de la mélodie, la verticalité du matériau
sonore brut, la coexistence possible de tempi parallèles et la cohérence
radicale de l'unisson. Tout un monde mis à jour par les tendances et les
techniques des musiques d'aujourd'hui, qu'il reste à inventer. Kaydara
est inspiré par la légende du dieu de l'or et de la connaissance dans
la culture du peuple Peuls, légende africaine d'où peut naître le concept
singulier d'une organisation musicale qui sera guidée par une inspiration
inédite. Quatre éléments comme quatre directions de recherche ; Onze épreuves
égrainées durant le temps d'un parcours ; une réflexion qui pourrait établir
la cosmogonie d'une musique ... actuelle ?!.
|